Communiqué de Presse de l'ESA
Nº 02-96 - Paris, le 14 février 1996   [ English Version | Deutsche version ]

Le nouveau télescope spatial européen dévoile la collision de galaxies

ISO, le satellite d'observation dans l'infrarouge de l'Agence spatiale européenne, met en évidence les cataclysmes qui se produisent lorsque deux vastes ensembles d'étoiles entrent en collision. Tel est l'un des premiers résultats présentés aujourd'hui (14 février 1996) par des astronomes à la station de poursuite de l'ESA à Villafranca, près de Madrid, qui assure la commande d'ISO dans son étude de l'univers. Depuis son lancement le 17 novembre 1995, des équipes d'astronomes ont reçu la "lumière invisible" de nombreuses sources cosmiques pendant qu'ils vérifiaient leurs instruments.

Les collisions de galaxies, composées chacune de milliards d'étoiles, sont les événements les plus spectaculaires qui se produisent depuis l'origine de l'univers. Il se peut qu'elles soient suffisamment fréquentes pour jouer un rôle majeur dans l'évolution des galaxies ; de ce fait, elles constituent l'un des principaux thèmes de recherche des équipes d'ISO. Les collisions déclenchent la formation d'étoiles à l'intérieur de nuages de poussières. Ces nuages sont opaques à la lumière visible si bien que même le télescope spatial Hubble ne peut en scruter l'intérieur.

L'un des objectifs de la caméra d'ISO a été une paire de galaxies dénommées "les Antennes", à 60 millions d'années-lumière. Leur nom provient des panaches d'étoiles, semblables à des antennes, qu'une collision a arrachés aux galaxies. Dans le visible, les deux galaxies sont similaires mais, avec sa capacité sans précédent de collecter et d'analyser les rayons infrarouges, ISO permet de distinguer différentes formes de commotion provoquées par le choc.

Pour l'oeil pénétrant d'ISO, l'une des galaxies des Antennes présente autour de son noyau central un grand anneau où la formation d'étoiles est intense. Une autre région de formation d'étoiles s'étend le long d'une ligne marquant le chevauchement des disques des deux galaxies, là où la collision fut la plus violente. La caméra d'ISO a également observé à 230 millions d'années-lumière la fusion de deux galaxies dénommées Arp 220. Dans ce cas, l'émission infrarouge intense est concentrée dans une région si petite que les astronomes soupçonnent la présence d'un trou noir géant.

Aux grandes longueurs d'ondes de l'infrarouge, le photomètre d'ISO a mesuré la température de la poussière dans une paire de galaxies en collision, NGC 6090. La température mesurée est de - 250°C. Les astronomes estiment que la cadence de formation d'étoiles dans NGC 6090 est de 25 astres semblables au Soleil par an, chiffre à comparer avec deux ou trois par an dans la Voie Lactée.

La galaxie proche dite "du Tourbillon", M51, a été le premier objectif visé par ISO le 28 novembre, au moment où le télescope a ouvert les yeux sur l'univers. Depuis cette date, l'équipe de la caméra a obtenu de bien meilleures images de M51 qui font apparaître des régions de formation d'étoiles dans les bras spiraux de la galaxie et de chaque côté du noyau.

Catherine Cesarsky, du CEA à Saclay (France), est le chercheur principal de la caméra d'ISO. Pour elle : "ce qui m'intéresse le plus avec ISO, c'est le fait que, grâce à sa sensibilité, nous pouvons observer des sursauts de formation d'étoiles dans des galaxies très jeunes et étudier l'histoire des galaxies de leur origine à nos jours. C'est seulement en étudiant d'autres galaxies que nous pourrons comprendre pleinement ce qui se passe dans la nôtre, la Voie Lactée, et notamment comment les conditions de la vie y ont été réunies".


La naissance d'étoiles

ISO est également en quête de processus de formation d'étoiles au sein de la Voie Lactée. Pénétrant les nuages de poussières où les étoiles naissent, les rayons infrarouges peuvent mettre en évidence des proto-étoiles. Il s'agit de cocons de poussières aux forts rayonnements qui entourent les étoiles jeunes créées par l'effet gravitationnel écrasant le nuage. Le spectromètre d'ISO détecte les signes distinctifs des constituants de ces nuages puisqu'ils émettent ou absorbent les rayons infrarouges à des longueurs d'ondes connues avec précision.

L'équipe du spectromètre à longueurs d'ondes courtes a procédé aux essais de son instrument sur un nuage de poussières dénommé GL2591 qui enveloppe une étoile massive nouvellement formée. Les astronomes ont identifié des molécules à l'état solide sous forme de glaces, certaines d'entre elles jamais observées jusqu'ici dans l'espace, notamment de la glace de cyanure d'hydrogène. C'est le Dr Thijs de Graauw de Groningue, Pays-Bas, qui est le chercheur principal du spectromètre à longueurs d'ondes courtes d'ISO.

"Nous voulons savoir comment le Soleil et la Terre ont pris naissance," déclare le Dr de Graauw, "et ISO nous donne de merveilleuses informations inédites. Notre tâche, avec le spectromètre à haute résolution, est d'analyser les températures, les pressions et les mouvements à l'intérieur des nids où les étoiles éclosent. Les observations des molécules et de la poussière sont les outils de notre diagnostic".

La mort d'étoiles

L'observation de l'explosion d'une étoile au moyen du photomètre d'ISO illustre au sens propre le pouvoir qu'a le nouveau télescope spatial de l'ESA d'observer des objets invisibles. Dans une région du ciel où les autres télescopes ne voient que quelques étoiles ordinaires, cet instrument polyvalent a repéré un objet représentant un quart de la largeur de la pleine Lune et fortement brillant dans l'infrarouge. Ce rayonnement provient de débris s'éloignant à 3000 kilomètres/seconde du lieu de l'explosion qui s'est produite il y a environ 1000 ans. Dénommé MSH 11-54, cet objet a également été photographié par d'autres astronomes au moyen de télescopes spatiaux travaillant dans le rayonnement X comme Exosat. Il se situe à 10 000 années-lumière de la Terre dans la constellation de la Croix du Sud.

MSH 11-54 est un reste de supernova, résultat de l'explosion d'une étoile géante à la fin de sa vie. Les débris de nombreuses supernovae parsèment la Voie Lactée et lui apportent des éléments chimiques provenant de l'hydrogène et de l'hélium primitifs par réaction nucléaire à l'intérieur des étoiles. ISO étudiera la transformation de ce matériau à mesure qu'il féconde la galaxie pour donner naissance à des étoiles et des planètes nouvelles, sur lesquelles la vie pourrait apparaître.

"Nous devons notre existence à des cadavres d'étoiles", fait remarquer le Pr Dietrich Lemke de Heidelberg (Allemagne), chercheur principal du photomètre. "Nos os, notre chair et le fer qui colore notre sang proviennent d'atomes produits dans des étoiles qui sont mortes avant la formation du Soleil et de la Terre. Dans nos études de restes de supernovae, nous espérons recenser de nombreux atomes, molécules et particules de poussières. Et nous recherchons aussi des diamants que les explosions d'étoiles pourraient avoir éparpillés dans l'espace".

Les étoiles plus petites meurent de façon moins violente, mais libèrent dans l'espace des matériaux sous forme de nuages appelés nébuleuses planétaires. Toutes les équipes ont procédé à des observations originales de nébuleuses planétaires tout en vérifiant leurs instruments, et les capacités sans égales d'ISO, qui travaille à la demande dans toutes les longueurs d'ondes de l'infrarouge, sont illustrées par un ensemble d'images de la nébuleuse planétaire NGC 6543 que la caméra a prises. L'aspect de ce nuage diffère de façon frappante lorsqu'on observe les émissions dans l'infrarouge des hydrocarbures, du néon, du soufre et des poussières qui le composent.

Un réfrigérateur galactique

Le spectromètre à longueurs d'ondes longues travaille dans une plage du spectre infrarouge qui est entièrement occultée par l'atmosphère terrestre. Des instruments embarqués sur des ballons et des avions volant à très haute altitude ont donné quelques aperçus des caractéristiques de l'Univers dans les longueurs d'ondes longues de l'infrarouge, mais seul ISO peut en donner une vue précise. C'est ainsi que le spectromètre à longueurs d'ondes longues a été capable d'observer, dans une grande variété de sites cosmiques, le rayonnement qui joue un rôle important dans le refroidissement de la Voie Lactée.

Les émissions à 158 microns de longueur d'ondes (environ un sixième de millimètre) proviennent d'atomes de carbone ionisés dans les nuages qui remplissent les espaces entre les étoiles. Le spectromètre a enregistré les émissions provenant d'une région où naissent les étoiles, d'une étoile à l'agonie, de nuages de poussières et de gaz chauds et froids, et même de nuages d'hydrocarbures extrêmement froids dénommés "cirrus infrarouges". Même si ces objets sont totalement invisibles, l'énergie qu'ils déversent peut être équivalente à celle de la lumière d'un milliard d'étoiles. Elle pèse sur le bilan énergétique - et donc la température - de la Voie Lactée, mais aussi d'autres galaxies.

"La spectroscopie est un outil essentiel pour l'étude des conditions physiques et chimiques des objets astronomiques," nous a dit le Pr Peter Clegg, Londres, chercheur principal du spectromètre à longueurs d'ondes longues. "ISO vient d'ouvrir sur le cosmos une nouvelle fenêtre spectroscopique qui a déjà fait la lumière sur la physique de planètes, d'étoiles jeunes et vieilles, et de galaxies. Les dix-huit mois qui viennent ont toutes chances de transformer notre vue de l'Univers."

Une durée de vie plus longue ?

Si ISO est actuellement seul à avoir une maîtrise incontestée de l'univers infrarouge, c'est parce que les télescopes spatiaux travaillant dans cette gamme d'ondes sont difficiles à construire. Ils doivent être plus froids que les objets cosmiques qu'ils observent, ce qui veut dire travailler à quelques degrés au-dessus du zéro absolu, soit au-dessous de - 271° C. Après IRAS, mission qui a brossé une vue de l'Univers dans l'infrarouge en 1983, l'ESA a été la première agence spatiale à décider, cette même année, que l'astronomie dans l'infrarouge méritait d'entreprendre le travail considérable nécessaire pour fabriquer un observatoire aussi froid et l'envoyer dans l'espace. La conception des instruments ayant été arrêtée, les travaux industriels ont débuté en 1986.

Un gros réservoir d'hélium superfluide enveloppe le télescope et ses instruments. Pour maintenir cette basse température, l'hélium doit s'évaporer lentement. En fin de compte il s'épuise. Selon le cahier des charges, ISO doit travailler pendant dix-huit mois. Mais les dernières estimations de sa température de fonctionnement effective montrent que ce temps sera prolongé d'environ six mois et que les travaux astronomiques devraient donc se poursuivre jusqu'en novembre 1997. Tous les systèmes de l'engin spatial fonctionnent parfaitement, et ISO est un triomphe pour les équipes industrielles européennes qui l'ont réalisé.

ISO décrit une orbite elliptique autour de la Terre qui dure une journée. Il peut procéder à des observations astronomiques pendant 16 heures sur 24, lorsqu'il se trouve au-delà des ceintures de radiations entourant notre planète. La station sol de l'Agence à Villafranca est en communication directe avec ISO pendant la plupart de ce temps. La station NASA de Goldstone (Californie) prend la relève lorsque le satellite est au-dessous de l'horizon de l'Espagne.

"Du point de vue scientifique comme technique, ISO est un grand succès pour l'ESA", a déclaré le Dr Martin Kessler, scientifique du projet. "Jusqu'ici nous nous sommes occupés à vérifier le fonctionnement des instruments. C'est seulement ce mois-ci que les travaux astronomiques démarrent pour de bon. Ils associent environ 500 équipes européennes, américaines et japonaises et plus d'un millier d'astronomes. Nous aurons encore beaucoup plus à dire lors d'une réunion des astronomes qui se tiendra à l'ESTEC aux Pays-Bas à la fin mai".

Pour plus d'informations sur ISO, contacter :

Division de la Communication de l'ESA (Paris)
Simon Vermeer : +33.1- 53.69.7106

Scientifique du projet de l'ESA :
Dr Martin Kessler : +34.1-813.1253

Chercheur principal, caméra (ISOCAM)
Pr Catherine Cesarsky : +33.1 - 69.08.7515

Chercheur principal, photomètre (ISOPHOT)
Pr Dietrich Lemke : +49 6221.528.259

Chercheur principal, spectromètre à longueur d'ondes courtes (SWS)
Dr Thijs de Graauw : + 31.50.363.4074

Chercheur principal, spectromètre à longueur d'ondes longues (LWS)
Pr Peter Clegg : + 44.171.975.5038